❝ tu enlèves quatre lettres à "cupidon", ça te donne "con"
Tous autant que nous sommes nous voulons plus de temps. Du temps pour se relever, du temps pour grandir, du temps pour lâcher prise. Du temps.Les yeux bleus scintillants du gamin fixaient, par la fenêtre, cette rue où régnaient la terreur, l’angoisse et les crimes. Comme chaque soir il se postait à cette même place, dans sa chambre plongée dans l’obscurité, puis constatait avec effroi qu’il n’était guère le seul observateur de cette cité. Quelques hommes fumaient leur cigare sur le balcon, lançant de curieux regards à ce qui se passait plus bas. Les femmes n’étaient hélas pas mieux. Elles couchaient leurs mioches, attrapaient leurs tasses de café &, plus discrètes, décalaient simplement leurs rideaux. Ici, personne n’osait sortir le soir ; ça serait comme se jeter dans une cage habitée par un fauve affamé. Pourtant, tous acceptaient de se glisser dans la peau de spectateurs. & malheureusement, comme le vaut la définition : un spectateur n’intervient jamais. Alors quand les coups de feu retentissaient, quand les hurlements s’infiltraient dans les tympans déjà bien traumatisés, & quand les appels au secours dominaient tout le reste, chacun s’enfermait chez soi, à double tour, feintant de n’avoir rien entendu. Parce que c’est ainsi dans le Bronx. Chacun vit sa vie, espérant ne jamais subir les foudres des dealeurs, des racistes, des homophobes, des criminels. Debout, immobile, les yeux perdus dans cette ville de ruines, Logan ne prêta aucune attention à la porte grinçante qui s’ouvrait. Sa mère, comme tous les soirs, se glissa derrière son corps d’enfant puis glissa ses doigts sur ses frêles épaules. Elle aimait son fils d’un amour inconditionnel. Elle sacrifiait sa vie pour ce bambin, & elle lui offrait absolument tout ce qu’elle avait. Les Whitfield ne roulaient pas sur l’or, loin de là. Le vieux passait ses journées à l’usine, réparant des pièces de voiture massacrées. Mais ce n’était finalement guère utile en sachant qu’à l’aube, les ouvriers découvraient leur garage tagué de toutes parts, puis fortement abimés par le coup des massues. & à l’intérieur ne trainaient que des cadavres automobiles. La rentrée d’argent restait bien maigre. Alors la mère Whitfield mettait la main à la pâte, & confectionnait quelques robes pour les dames encore désireuses d’être jolies pour leurs hommes, quand ceux-ci daignaient lever leurs yeux vers elles. Non, décidemment, il ne faisait pas bon vivre dans cette pitoyable cité.
« Va te coucher, Logan… Un jour, tu partiras d’ici, je te le promets » Sa voix manquait d’être brisée de sanglots. Le gamin le ressentait sans peine. Refusant ainsi de causer plus de tourments à la femme de sa vie, il se glissa sous ses draps & s’y camoufla, à la recherche de plus de sécurité. Les mots de sa maman tournaient en boucle dans son esprit. Il désirait tellement quitter cet infâme endroit, rencontrer des gens biens & bons, pouvoir sortir sans avoir ce frisson glacial omniprésent enroulé autour de sa colonne vertébrale. Mais pourquoi ne cessait-elle de s’adresser à lui au singulier ? Il partirait, sans aucun doute, mais il emmènerait également ses parents.
« On partira d’ici, maman. Tous les trois… On n’aura plus jamais peur… » Un tendre sourire se dessina sur les lèvres de Juliet. Parfois, elle s’en voulait d’avoir mis Logan au monde. Elle s’en voulait surtout de n’avoir réussi à se construire une vie où l’argent ne manquerait pas, où le crime vivrait loin de chez elle. Où Logan serait heureux.
On peut brusquement se retrouver là où on aurait jamais cru finir.Une tension désagréable flottait dans les airs, ce soir-là. À table, les Whitfield picoraient les quelques grains de riz présents dans leurs assiettes, accompagnés d’une poignée de haricots. Chacun se terrait dans un silence pesant & angoissant. Pourtant, malgré cela, aucun ne daigna ouvrir la bouche. Isaac se dépêcha de terminer son repas, sûrement pressé de quitter cette cuisine à l’allure démoniaque, & emporta avec lui son verre de whisky : la bouteille ayant été abandonnée dans la rue par un mendiant, il n’avait pu résister à l’envie de la lui dérober. Après tout, le clochard allait crever d’ici peu de temps, soit tué par un connard du quartier, soit rongé par la faim. Juliet, quant à elle, passa ses mains meurtries contre son visage. Un profond soupir venait d’enfin brisé le silence. Bon sang ce qu’elle faisait peur à voir. Son teint blafard lui donnait l’air d’une retraitée alors qu’elle n’avait que quarante ans. Ses yeux ne brillaient plus depuis bien longtemps. Mais à cela s’ajoutait d’immenses cernes noirs descendant jusqu'à ses joues creusées.
« Il faut que tu manges, maman. Tiens, moi je n’ai plus faim » Ainsi, dans un élan d’amour, Logan attrapa son assiette & lui offrit ses restes. Il n’était plus un enfant, il comprenait donc sans difficulté que si Juliet ne se nourrissait pas davantage, elle plongerait dans les abysses, sans jamais prétendre pouvoir revenir. & ça, c’était juste impensable pour le jeune homme. La jeune femme se fit hésitante. Mais en voyant le regard insistant de sa progéniture, elle comprit qu’il n’en démordrait pas. Sa fourchette priva l’assiette de ses grains de riz & son estomac n’en fut que plus comblé. Pour combien de temps ? L’entreprise automobile avait pris feu cette nuit : la police avait d’ailleurs parlé d’un incendie d’origine accidentel, alors que toute la population savait que les flammes avaient été volontairement provoquées. Isaac crevait de désespoir & finalement, la famille entière souffrait. Un baiser claqua sur les joues de Juliet, puis Logan rejoignit sa chambre. Ce soir, il ne prendrait pas de douche, il refusait d’endetter sa famille pour quelques impuretés. Le lendemain serait un tout autre jour.
« Pourquoi j’voudrais de toi, gamin ? » Cette voix si froide & si dure glaçait le sang de Logan. Mais, la tête haute, il fixa son interlocuteur. Il était ce genre de mec qu’il ne faudrait provoquer sous aucun prétexte : ses gros bras respiraient la violence & la capacité à buter tous les arnaqueurs potentiels. Ses yeux noirs devaient sans doute être capable de stopper directement quiconque désirait le rabaisser. Sans parler de son immense taille. Voyait-il le monde dans une même dimension ?
« J’ai besoin d’argent. Alors, je vends ta marchandise, je te file le plus grand pourcentage & je garde le reste. C’est comme ça que ça marche, non ? » Durant seize années, Logan avait été un petit garçon exemplaire, désireux de suivre des cours afin d’avoir un métier rentable & acceptable. Mais la souffrance de sa famille était telle qu’il s’interdisait de garder ses bras croisés, en attente d’un miracle. Souvent, il entendait les camés dire que nul ne pouvait vendre de drogues sans y toucher. Mais ce soir, il se promettait de faire exception à la règle : il allait vendre toutes ces merdes à d’innombrables désespérés sans jamais se laisser tenter par une expérience.
Ce fut difficile de s’adapter à cette vie de petit délinquant. Lorsqu’il sortait le soir, Logan n’attendait que ce foutu moment où il aurait enfin tout refourgué. Car à cet instant précis, il rejoignait enfin la planque de son boss & récupérait l’argent qui lui était dû. Ce n’était qu’une maigre compensation du travail fourni, mais grâce à cela, il offrait à sa famille autre que du riz & du pain moisi. Ses parents régulièrement l’interrogeaient sur ses activités. Comment faisait-il pour ramener « autant » d’argent, en étant supposé être à l’école ? Les Whitfield s’empêchaient de songer à la drogue, pourtant maitresse des lieux. Car même si chaque être vivant au Bronx se laisse un jour tenter par le « salaire facile », Logan possédait des valeurs humaines implacables. & putain, c’était la stricte vérité ! Mais l’Amour qu’il éprouvait pour ses parents n’en était que plus fort. & un jour, ils comprendraient…
La plupart du temps, on peut gérer la douleur. Mais parfois la douleur s’abbat sur vous quand vous vous y attendez le moins.Dans le quartier, les camés connaissaient Logan & surtout sa relation avec son boss,
Le Noir – comme il aimait se faire appeler. Avec le temps, le gamin avait réussi à faire ses preuves. & à ce jour, il obtenait sans mal les meilleurs coups, les meilleures planques, les meilleurs horaires. De tous les dealers, il restait celui qui vendait le plus de merdes. Parce que les gens lui accordaient leur confiance aveuglément, sachant pertinemment qu’il ne ferait pas partie de ces petits bâtards trop lâches pour les abandonner & les laisser crever d’un manque évident. & puis de toute façon, quand les gosses rejoignaient les ordres de
Le Noir, il était impossible d’arrêter sous peine de se prendre une balle dans la tête dans le meilleur des cas. Des années s’étaient écoulées. Des années passées à côtoyer le monde des drogués, des dépendants, des dépressifs. Sans parler de ces cadavres ambulants. Les hommes marchaient à travers les rues sans se rendre compte de leur état. Ils n’avaient plus d’âme. Finalement, cette vision quotidienne aida le jeune Whitfield à s’en sortir dignement & la tête haute. Jamais il ne toucha à la drogue. Jamais il n’eut d’ailleurs envie d’essayer. Mais il crevait de honte parce qu’il gagnait de l’argent sur le dos de ces pauvres types qui, en fin de compte, n’auraient que besoin de son aide. Pour sauver sa famille, pour nourrir leurs trois bouches, ils enfonçaient les camés six pieds sous terre. Il les regardait se faire aspirer par la faucheuse sans même leur tendre la main.
« Maman ? Papa ? Je suis rentré ! » Aucune voix ne désirait répondre à la sienne. Interloqué & presque inquiet, le jeune homme s’avança vers la cuisine plongée dans le noir. Personne. Quelques années auparavant, Logan aurait pensé au pire à cause de la santé fiévreuse de ses parents. Mais aujourd’hui, grâce à ses activités peu recommandables, Juliet & Isaac se portaient infiniment mieux : ils mangeaient à leur fin.
« Joyeux anniversaire ! » Un léger sursaut traversa le corps de Whitfield. Amusé, il se tourna vers ses parents, puis un large sourire étira ses lèvres en les apercevant si rayonnants, si heureux d’être là & de pouvoir fêter son vingt-troisième anniversaire. Tous deux s’approchaient enfin de lui, un gâteau dans les mains & un petit paquet mal dissimulé juste à l’arrière. C’était tellement trop. Logan aurait certainement aimé qu’ils ne dépensent rien & se contentent de l’embrasser.
« Ce n’est pas grand-chose mon grand, on espère quand même que ça te plaira… » souffla Juliet en tendant le fameux petit cadeau. À l’intérieur se trouvait un pendentif. Un très vieux pendentif qu’il suffisait d’ouvrir pour entrevoir une photo en noir & blanc datant de vingt-trois ans auparavant. Juliet, Isaac & Logan, encore enfant. À cette époque déjà, leurs regards débordaient d’amour. Touché, le gamin resserra ses bras autour des seules personnes au monde qu’il estimait, puis attacha dans sa nuque son si précieux présent. Le pendentif retombait sur son torse, & ne le quittera absolument jamais.
« Merci. Ça me fait plaisir, vraiment » La petite famille s’installa à table & dégusta le gâteau d’anniversaire. Vingt-trois ans. Depuis tout ce temps, il errait dans le Bronx & sa vie n’avait droit à aucune putain évolution. Les cours qu’il suivait dans les écoles miteuses ne lui permettaient malheureusement pas d’obtenir un diplôme. & pourtant, il aurait aimé devenir journaliste. Ou peut-être reporter. En fait, il avait perdu toute envie d’y réfléchir. Sa seule ambition se résumait à tenir ses parents en vie.
« Comment s’est passée ta journée mon grand ? Je n’aime toujours pas l’idée que tu t’rendes chez ces fous uniquement pour réparer leurs voitures… » Mentir demeurait quelque chose dont il n’était pas fier. Mais comment aurait-il pu faire autrement ? Comment aurait-il pu poursuivre sa rentrée d’argent sans attiser la curiosité de ses proches ? Un jour, peut-être que ses parents comprendraient…
« T’es venu voir Louis ? Enfin… Le Noir ? » Féline, la jeune femme contourna le gamin. Son souffle chaud s’échoua contre sa nuque & le bout de ses doigts osa par ailleurs s’aventurer sur la chute de ses reins. Cette nana, tout le monde en parlait. Elle était belle. Foutrement belle. De longs cheveux bruns tombaient en cascade sur ses épaules, cachant – au grand désarroi des hommes – sa somptueuse poitrine. Mais cette grande frustration n’en était que plus comblée grâce à cette paire de jambes sans cesse dévoilée. Droguée jusqu’au bout des ongles, la donzelle perdait toute sa fierté, toute sa dignité. Elle était devenue le fantasme des habitants, allant même jusqu’à s’en réjouir. Seul Logan ne lui portait jamais d’attention. Parce qu’à vrai dire, elle sortait avec Le Noir. Y toucher amènerait donc directement à son propre arrêt de mort. Hélas, la garce habituée à provoquer le désir chez les hommes, depuis quelques temps le draguait sans aucun scrupule.
« Tu peux aller me le chercher s’il te plait, au lieu de me tourner autour ? » Ses sourcils se froncèrent & d’une main habile, la jeune femme le poussa jusqu’à ce que son dos bute contre le mur. Sa poitrine opulente s’écrasa contre ses pectoraux. Puis sa main coquine agrippa son entre-jambe avec fermeté. Si Mia s’autorisait de tels écarts, cela signifiait obligatoirement que Le Noir était absent. Cependant, il ne s’agissait en aucun cas d’une bonne raison pour franchir les limites. Les images de ses parents, amaigris par la faim, lui revenaient incessamment devant les yeux. Bon sang, Logan les décevait à chaque jour qui se terminait alors il ne foutrait pas tout en l’air pour une nana, droguée, en manque de sa dose, en manque de sexe, en manque de tout.
« Tu crois franchement que tu vas me résister encore ? Un jour, tu lâcheras prise. & on baisera pendant des heures… » Leurs doigts tendrement se frôlaient. Logan n’émit aucune résistance, levant malgré tout les yeux vers l’extérieur de la pièce. Il craignait le retour de Le Noir & il craignait par-dessus tout sa réaction s’il posait son regard sur sa petite-copine, collée contre le torse du dealeur le plus ambitieux, le plus loyal qu’il avait à sa disposition. Dehors, la nuit noire était tombée, il était par conséquent impossible de déceler quoi que ce soit. L’angoisse montait encore & encore, jusqu’à finalement se solder par l’accélération des battements de son cœur lorsque la garce le força à glisser ses doigts sous sa jupe : elle ne portait aucun sous-vêtement & transpirait déjà l’envie.
Après avoir rassemblé autant de forces que possible, Whitfield s’était échappé. & aucune relation physique ne les avait unis ce soir-là.
En revanche, le mois suivant, Mia quitta le lit d’un Louis profondément endormi afin de traverser la ville dans la discrétion la plus complète. Ses pas claquaient sur l’asphalte. Quelques nuages blancs dû à la fraîcheur de la soirée filaient de sa bouche au rythme de sa respiration. & à la hâte, elle frappa à la porte du numéro 71. Un large sourire illumina son visage lorsque Logan apparut dans l’encadrement de la porte. Leurs yeux flirtaient ensemble durant d’interminables secondes. & dans l’instant se passa ce qu’il devait se passer depuis leur rencontre : l’union de deux être désespérés à leur manière, dont l’âme se transformait en lambeaux à chaque épreuve d’une vie ingrate & difficile. Alors, régulièrement, ils se retrouvaient & s’envoyaient en l’air à ne plus finir. Mais comment auraient-ils pu imaginer être un jour frappés par la flèche de Cupidon ? Ils s’aimaient plus que de raison. Ils s’aimaient en fin de compte à en crever. Un simple regard suffisait à affoler leurs cœurs, c’en était déstabilisant. Logan était amoureux. Tout son être était bousculé par cette sensation merveilleuse lui offrant un bonheur sans nom, capable notamment de lui faire oublier le passé. Mia jouissait de cet amour en secret. Logan, quant à lui, peinait à dissimuler sa bulle d’évasion : il souriait bêtement toute la journée, & s’y prenait si bien avec sa copine - sous la couette - que ses parents ne rejoignaient Morphée que tardivement, malgré tout heureux de savoir leur fils comblé. Hélas, l’Amour ne changeait aucunement les habitudes de la jeune femme. Toujours accro à ces substances illicites, il lui arrivait parfois de partir dans un délire tellement puissant qu’il en devenait effrayant. Jamais Logan ne s’était préoccupé des dépendants. Mais elle était différente. Elle était importante. Alors ils se disputaient avec violence & insultes.
« Tu crois sérieusement que j’vais te présenter à mes parents dans cet état ?! T’es qu’un déchet, Mia. Tu me déçois » Le point sensible de la brune venait d’être percuté ; amoureuse comme jamais, elle espérait tant rencontrer les parents de son petit-ami. Ce dernier refusait & retardait toujours ce moment de complicité. Il souhaitait juste que Mia réagisse & calme sa consommation pour enfin la stopper définitivement.
« Si ta mère est si parfaite, baise-là & m’emmerde pas Logan » En moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire, le poing du jeune homme s’enfonça dans la mâchoire de sa nana. Sonnée, elle s’écroula sur le sol & gloussa avant de pleurer, vexée. À force d’errer dans une ville où règnent la violence & les ennuis, on finit inévitablement par s’y plonger. Sans s’en rendre réellement compte. & là, c’est le début d’une certaine descente aux enfers.
Nourris de rêves peut-être irréalisables, les deux jeunes tourtereaux de la cité se pensaient invincibles. Mia, parfois, tenait tête à son petit-ami officiel : Le Noir. & parfois même elle se refusait à lui, prétextant un furieux mal de tête ou tout simplement être indisposée. Leurs vigilances s’amenuisaient. & pour cause : Logan ramenait de moins en moins d’argent, soit parce qu’il troquait son boulot contre une intense partie de plaisir, soit parce qu’il cherchait volontairement à ce que Le Noir le supprime de son cercle de dealeurs. Néanmoins, un plan machiavélique se tramait derrière les deux jeunes gens. Loin d’être stupide, Louis les suivait depuis plusieurs jours. & puisqu’il ne supportait pas d’être pris pour un imbécile, il décida d’employer les grands moyens. Samedi soir. Au coin d’une ruelle, Mia se jeta dans les bras de son amour. Leurs lèvres se rencontraient furieusement, fougueusement & amoureusement. Une danse endiablée unissait leurs langues tandis que les doigts du jeune homme se fourraient dans les cheveux emmêlés de la princesse.
« Vous pensiez me cacher ça encore combien de temps, bande d’enculés ?! » hurla-t-il. Affolée, Mia quitta le cocon confortable que formaient les bras de son homme, & s’approcha de Louis.
« Écoute, je… » Sans avoir eu le temps d’ajouter quoi que ce soit, Mia s’échoua sur le sol, pliée en deux par la soudaine douleur que venait de lui infliger la terreur. Son poing s’était abattu si violemment dans son ventre qu’elle eut la désagréable impression d’être transpercée. & incapable d’assister à cela sans réagir, Logan bondit vers l’homme qu’il aurait autrefois pu considérer comme un ami, avec la ferme intention de le calmer. Une arme luisante l’interrompit brutalement dans sa course & son unique réflexe fut de lever les bras.
« Tu fais quoi là ? Range ça, putain ! » Dans le Bronx, les hommes sortent leurs armes afin de tirer sur leurs victimes. Faire peur n’est que rarement leur but ultime. & ça, Logan en avait parfaitement conscience.
« La ferme ! Tu vas payer enfoiré. T’entends ?! TU ENTENDS ?! Crève en enfer » & il tira. Yeux clos, Whitfield ne ressentait plus rien. Seulement, le désarroi le frappa de plein lorsqu’en ouvrant ses paupières, il découvrit le corps ensanglanté de sa petite-amie. Elle s’était volontairement sacrifiée. Pour lui. Par amour. Logan ne prit même pas le temps de regarder si Louis demeurait près d’eux ; il s’agenouilla près de sa princesse & attira son visage sur ses cuisses. Ses larmes dégringolaient la pente de ses joues sans qu’il ne s’en rende réellement compte. Elle ne pouvait juste pas disparaitre. Pas maintenant. Pas comme ça.
« Je n’aurais…vraiment… jamais rencontré tes parents… » Sa respiration irrégulière puisait dans ses dernières forces.
« Si… si Mia, demain je te les présenterai. C’est promis. Reste avec moi, putain, reste avec moi » Téléphone - ramassé près d'un cadavre - en mains, Logan appela les secours. & juste ensuite, il se sépara de son t-shirt pour s’en servir comme garrot & ralentir l’écoulement conséquent de sang. Mais ses veines progressivement se vidaient. & malgré ses espoirs omniprésents, Whitfield savait qu’elle ne vivrait pas. C'était la fin d'un rêve, la pulvérisation d'une terre paradisiaque parmi la misère. Ensemble, ils avaient trouvé le moyen d'échapper aux filets du Bronx, & à présent leur chemin se divisait.
« Il faut que… tu te casses d’ici Logan… » Ses mains d’homme entouraient son visage glacial, grisâtre. & inconsciemment Logan berçait son corps. Fuir… Il y songeait depuis sa plus tendre enfance. & finalement ? Il n’était encore que cet incapable, errant dans les rues macabres du Bronx, ne pensant qu’à la sécurité de sa petite-amie & de ses parents. Ce soir, il venait d’échouer en partie.
« Pas sans toi, tu comprends ?! Je t’aime, merde ! Accroche-toi ! Je t’aime… » murmurait-il à plusieurs reprises dans le creux de son oreille.
« Je...le savais…que tu finirais par te retourner sur moi… Merci de m’avoir rendue heureuse…. Je t’aime…aussi… » & sur ses dernières paroles tremblantes & pleines d'émotions, son cœur cessa de battre. Mia rejoignait les anges, tandis que Logan restait dans les flammes de l’enfer. Mais un jour, il aurait sa revanche.
Lorsque notre cœur est menacé nous réagissons de deux façons. Ou nous fuyons ou nous nous battons.La police, sur les lieux du crime, fut stupéfiée par cette violence sans bornes. Le corps de Mia gisait sans vie, sur un sol poussiéreux & coupant à cause de toutes ces bouteilles de bières fracassées. La pâleur de sa peau effrayait les passants curieux. N‘avaient-ils donc aucun respect ? Logan, installé dans la voiture des policiers, répétait encore & encore ce qu’il s’était exactement produit, ne cessait de prononcer les mêmes mots. Le temps s’écoulait à une vitesse qui lui semblait volontairement ralentie. Puis finalement, les hommes en uniforme décidèrent de lui faire confiance au point de se rendre à la planque de Louis. Ce dernier tremblait plus que de raison, aiguille plantée profondément dans la veine, visiblement sous le choc d’avoir manqué son but & donc tuer la femme qu’il respectait. Lorsqu’il aperçut les policiers, il ne tenta même pas de fuir ; de toute façon, il n’en aurait pas eu la force. Il fut condamné à toute une vie de prison pour trafic de stupéfiants, coups, blessures, & meurtres. La vie au sein du quartier ne fut plus jamais la même. Néanmoins, Louis ne fut pas le seul jugé. Derrière les barreaux pour trois ans fermes, Logan payait le fruit de ses erreurs. Il côtoyait les hommes de la pire espèce : des assassins, des violeurs. Mais cela était inexorablement plus vivable que le regard déçu de ses parents. Au fond de lui, Whitfield restait persuadé qu’ils comprendraient tôt ou tard que leur fils avait pris des risques pour leurs survies & pour quitter ce bled plus qu’infecte. Les visites restaient foutrement rares au début de sa condamnation. Seul Isaac parvenait à pénétrer dans cette prison macabre à l’odeur dégueulasse. Il affrontait le regard de son fils & écoutait ses excuses en double, en triple ; Logan souhaitait tant obtenir leurs pardons. Le temps joua heureusement en sa faveur. Ses parents lui offraient enfin leurs plus beaux sourires & lui certifiaient un avenir meilleur. Alors, soulagé & heureux, le détenu leur fit parvenir une lettre.
Vous m’avez appris à conserver mes valeurs, c’est ce que j’ai fait, je vous l’assure. J’ai dealé pendant des années dans le seul & unique but de nous permettre de vivre mieux. C’est tellement dur de voir ses parents affaiblis par des conditions si peu favorables ! Je vous ai déçu & c’est réellement ce qu’il y a de pire pour moi. Je vais quand même vous demander une dernière chose… Dans ma chambre, j’ai planqué quelques liasses. Prenez-les & construisez-vous un tout autre avenir, ok ? C’est pour vous, tout ça. Uniquement pour vous. Je vous aime plus que tout au monde…
Logan.Puis un gardien accepta – en échange d’un peu de monnaie – de poster cette lettre sans même en vérifier le contenu. Après tout, les détenus eux aussi avaient droit à un petit instant d’intimité & de confidentialité, non ? Les années s’inscrivaient rapidement dans les chapitres passés, & Logan n’avait toujours pas obtenu sa revanche. Il profita donc des bruits de couloir pour révéler quelques secrets aux pires braqueurs, ce genre de mecs incapable de faire souffrir physiquement les femmes ou les enfants. Parfois, la voix de Louis faisait trembler les murs. Il hurlait & réclamait un peu de compassion quand ses bourreaux l’obligeaient à quitter ses vêtements, subissant ensuite bien pire que la mort. Vengeance était faite. & quand la peine s’acheva, Whitfield déserta les lieux sans jamais se retourner. Le pas rapide & mesuré, il s’empressait de rejoindre ses parents afin de les étreindre avec une force surhumaine. Leurs vies allaient changer dorénavant, il en était fichtrement certain.
« Nous voulons que tu prennes un nouveau départ Logan. Mais ton père & moi restons ici. Tu comprends ? Notre vie est ici malgré tout. & nous sommes bien trop vieux pour tout plaquer… Il ne nous arrivera plus rien… Prends ton argent, il en reste encore. & sois heureux mon grand, on t'aime si fort. » Dans la main de Juliet, plusieurs liasses qu’elle déposa dans la paume de son fils. Ce dernier, abasourdi, baissa son regard. Se détacher de ses parents n’avait absolument pas été envisagé ! Mais jamais plus il n’aurait la force de vivre dans ce quartier. La misère le détruisait. La violence le tuait. & le souvenir de Mia flottait incessamment autour de lui… Ainsi après de longues semaines & de multiples étreintes ou des baisers claquant à tout-va, Logan, âgé de trente ans maintenant, quitta le Bronx pour toujours, en emportant seulement un tiers de l'argent restant : ses parents méritaient de terminer leurs jours dans les meilleures conditions qui soient.
On vit comme des cons. On mange, on dort, on baise, on sort. Encore et encore. Chaque jour est l’inconsciente répétition du précédent : on mange autre chose, on dort mieux, moins bien, on baise quelqu’un d’autre, on sort ailleurs. Mais c’est pareil, sans but, sans intérêt. On a peur du pire. Et puis qu’on le veuille ou non, on attend toujours quelque chose. Sinon, on presserait sur la détente, on avalerait la plaquette de médocs, on appuierait sur la lame de rasoir jusqu’à ce que le sang gicle...De longs doigts parcouraient le torse d’Isalys. Ce dernier tiré de son sommeil depuis quelques minutes déjà, ouvrit alors ses yeux clairs & les plongea dans ceux de la jeune femme. Puis ses iris s’autorisaient une descente vers cette poitrine délicieuse, vers ce ventre embrassé la veille durant des heures, vers ses jambes griffées sans ménagement. Ils avaient fait l’amour sans penser à rien d’autre qu’au plaisir ressenti.
« Tu veux aller prendre une douche ? Je fais le petit-déjeuner en attendant. À moins que tu préfères qu’on en reste là ? » Après avoir déposé ses lèvres sur celles de sa jeune conquête, Isalys se glissa sous l’eau à température ambiante, bientôt parfumée par l’odeur du savon.
L’argent rassemblé grâce aux substances illicites lui avaient permis de vivre dans le Colorado des mois durant. Parfois à l’hôtel. Parfois dans des auberges où l’eau chaude était à proscrire. Au moins, Isalys se construisait une nouvelle vie, loin du Bronx. Mais sans boulot, il voyait ses liasses s’amoindrir au fur & à mesure, puis ensuite disparaitre. Il n’avait plus rien. Les rues de Lakewood ne demandaient, elles, aucun loyer & l’accueillirent ainsi joyeusement. Quitter New-York fut autrefois son plus grand rêve. Mais qu’avait-il récolté, finalement ? Une vie dans les boyaux d’une ville certes sans autant de violence, mais tout aussi exigeante ? & qu’en était-il de ses parents ? Pas une seule journée ne s’écoulait sans que Whitfield ne pense à eux, & ne regarde le ciel en espérant silencieusement avoir une réponse à ses interrogations. Que penseraient-ils ? Comment réagiraient-ils en apprenant que leur fils utilisait sans gêne ses charmes afin de bénéficier d’une nuit au chaud, dans les draps & entre les bras d’une femme ? Il offrait souvent à ses proies un délicieux moment intime, les cajolait & leur parlait avec un tact impressionnant. & souvent, il avait le plaisir de s’enfermer dans la salle de bain pour prendre une douche qui le lavait des horreurs de la rue. De temps en temps, il fouillait les placards, s’emparait de la brosse à dents neuve & dévorait presque le tube de dentifrice, ou bien le rasoir juste pour, à l'abri des regards se débarrasser de sa barbe. Isalys aurait facilement pu devenir exécrable, arrogant & détestable ; mais il n’en était rien. C’était d’ailleurs pour cela qu’il obtenait tant de choses de la part de ses victimes. Son sourire demeurait présent. Sa politesse ne ternissait en aucun cas. & même lorsque le froid mordait violemment sa chair – après ce merveilleux séjour chez l’une ou chez l’autre – il se contentait d’enfoncer ses mains dans ses poches & d’accepter sa vie telle qu’elle était, en priant juste pour ne pas crever comme les camés qu’il fournissait autrefois.
« Vous n’y arriverez jamais » Devant lui, deux hommes. L’un d’eux pestait contre sa voiture visiblement endommagée. L’autre s’acharnait sur les pièces capricieuses du moteur. Whitfield, amusé & donc le sourire aux lèvres, se pencha par-dessus le capot & fronça ses sourcils. Il ne lui fallut qu’un seul coup d’œil pour déceler le cœur du problème. & cela déplut forcément au type vêtu de son traditionnel bleu de travail qui prit simplement le temps d’essuyer ses mains fraichement noircies par l’enduit.
« J’suis garagiste, vous n’allez certainement pas m’apprendre mon métier » & pourtant, Isalys enfonça ses doigts dans le cœur de cette voiture afin de régler le problème en deux temps trois mouvements. L’homme tenta de démarrer & enfin, le vrombissement témoigna de sa réussite.
« Si vous avez besoin d’un garagiste, j’postule. J'm'appelle Isalys » Cette demande balancée à la légère & ce culot certain portèrent ses fruits. Quelques heures par semaine, Isalys se rendait au garage & réparait les automobiles les plus endommagées, pour le plus grand plaisir de ses collègues. L’argent récolté lui permettait de réserver des chambres d’hôtes, ou de s’acheter d’autres vêtements, moins troués, moins vieux, moins laids. Un nouveau départ semblait s’offrir à lui. Une nouvelle porte s’ouvrait. Un nouveau chapitre débutait. À croire que la chance tournait réellement… Ses parents seraient si fiers de lui. & Mia aussi. Grâce à son petit salaire, il allait pouvoir au moins téléphoner à deux personnes sur trois, souhaitant silencieusement que sa princesse le surveillait, de là-haut.