❝ tu enlèves quatre lettres à "cupidon", ça te donne "con"
Octobre 2008-
Mademoiselle Pietersen ? appela la voix du docteur Hack.
Contrainte et forcée de se manifester, Lisbeth Pietersen se leva non sans trainer des pieds, devoir suivre une thérapie n'était pas la chose qui lui faisait le plus plaisir.
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BonjourLe psychologue lui tendit la main, mais au lieu de la serrer comme toute personne normale l'aurait fait, Lisbeth détourna le regard et avança vers la salle où elle allait passer une heure en tête à tête avec son psy. La pièce était large et plutôt confortable, le genre de salle qui inspirait confiance. La brune s'assit sur le premier fauteuil qu'elle trouva, sans même attendre l'autorisation du médecin. C'était la troisième séance qu'elle avait avec lui. Les deux premières fois, elle s'était contentée de rester assise sans rien dire, attendant que le temps passe.
Alors dites-moi, quel âge avez-vous ?J'ai lu que vous étiez encore sous tutelle. tenta de lui demander le psy pour la énième fois.
Tu devrais connaitre la réponse depuis le temps, sale con. pensa-t-elle.
Lisbeth garda ses pensées pour elle, et pour simple réponse, elle le gratifia d'un regard noir. Comme si elle ne le savait pas qu'elle était jugée comme étant instable et incapable de s'occuper d'elle à dix-huit ans ! Elle se voyait forcée de vivre sous la tutelle de sa tante, et ce depuis près de douze ans.
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Très bien, je vois. Si vous voulez voir votre situation évoluée, vous devez me parler mademoiselle. tenta le jeune homme.
Je ergeren me. Idioot.
Ah, sa langue maternelle s'avérait bien utile dans de telle situation. Le docteur Hack sembla hésiter un instant. Comment devait-il s'y prendre avec une patiente qui refusait de dire quoique ce soit dans un langage qu'il comprenait ?
-J'imagine bien que ça ne doit pas être facile tous les jours. Vous devez me parler si vous voulez que ça change. D'après votre dossier, il est clair que vous êtes condamnée à suivre cette thérapie, alors autant en finir au plus vite. Je ne pas envie de nous faire perdre du temps.Les dernières paroles du psychologue eurent un semblant d'effet sur la jeune femme. Bien sûr qu'elle avait envie d'en finir avec tout ça ! Être prise pour une névrosée par son entourage n'était pas des plus agréables.
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J'ai tué mes parents quand j'avais six ans, une légère pseudo histoire d'inceste. Arrêtée pour violence et insultes à agent à deux reprises. Je passe mon temps à voler les gens et je leur mens constamment. J'ai dû fuir d'Amsterdam à cause d'un groupe de dealer qui voulait me massacrer, j'avais dix-sept ans. Ma tante m'a emmenée dans le trou du cul du monde pour tenter de calmer tout ça. Mais il semblerait que ça n'ait pas vraiment fonctionné, donc nous sommes venues à Denver. Ça vous va comme analyse de la situation ou je continue ? lança-t-elle d'une seule traite sans quitter le regard de son interlocuteur.
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C'est un bon début.Décembre 2008Depuis qu'elle s'était enfin décidée à balancer les grands traits de son histoire, le docteur Hack forçait Lisbeth à lui raconter tout dans les moindres détails. La jeune femme était toujours aussi hésitante qu'aux premiers rendez-vous, mais cette fois-ci elle avait compris que parler d'elle était le seul moyen pour être tranquille.
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Bien, que s'est-il passé pour en venir à ce meurtre ? demanda le docteur Hack d'une voix qui se voulait rassurante.La mine dépitée, Lisbeth ouvrit la bouche, mais la referma aussitôt. Par où commencer ?
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J'avais six ans. J'étais stupide et naïve, je croyais tout ce que me disait ma sœur, c'est elle la vraie folle dans l'histoire. commença-t-elle à expliquer.
Elle fit une pause de plusieurs minutes: d'une parce qu'elle devait fouiller dans le fin fond de sa mémoire pour être sûre de ne rien oublier; et de deux parce qu'elle voulait bien dire les choses.
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Mes parents étaient plutôt du genre à nous laisser nous démerder seule, Victoria et moi. Je n'ai jamais connu une seule marque d'affection de leur part, et je pensais qu'il en était de même pour Victoria. Et puis un jour, cette salle petite hoer, est venue me parler. "Tu veux savoir pourquoi ils ne t'aiment pas ? Parce qu'ils n'aiment que moi, ils me l'ont dit et me l'ont montré plus d'une fois."-
Quel âge avait votre sœur ?-
Dix ans. Un soir elle m'a demandée de les tuer, et comme une conne je l'ai fait. Pourquoi, hein ? Ik ben een raar meisje. Elle me tannait pour le faire, me jurant que ce serait mieux ainsi, qu'ils pourraient arrêter de la violer. Alors je l'ai fait. Je les ai poussé en haut d'un pont, ils sont morts sur le coup.Lisbeth se tut. Le dire de cette manière n'était peut-être pas la meilleure des choses qu'il soit. Elle se demandait si elle avait été assez claire sur les causes de son geste, après tout, ce n'était pas aussi simple que ça.
-Intéressant. se contenta de dire Hack.
Il posa son regard sur Lisbeth pour observer sa réaction qui ne se fit pas attendre.
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Quoi, c'est tout ? Je vous raconte que j'ai tué mes parents et vous trouvez ça juste "intéressant" ?
Le jeune psychologue griffonna quelque mots dans son calepin, ce qui fit sortir la demoiselle de ses gonds.Non mais il se prenait pour qui, lui ! Et comme à chaque fois qu'elle s'énervait, on avait le droit à un beau mélange de néerlandais, français et anglais.
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You fucking klojo de merde !Et sans perdre une seconde, la jeune femme se leva et claqua la porte avec une force impressionnante pour son gabarie.
Janvier 2009La période des fêtes touchait à ses fins. Que ce soit à Amsterdam, Dakota City ou Denver, Lisbeth avait toujours aidé sa tante à préparer les festivités. C'était dans ses rares moments que la demoiselle semblait aussi normale que les autres filles de son âge. Personne n'aurait pu dire qu'elle était différente sur bien des points. Helena était la seule personne à qui elle montrait sa véritable personnalité, elle ne lui mentait pas, ne la manipulait pas. Helena avait toujours fait office de figure maternelle, c'était son seul soutien, elle était un peu comme un pilier sans qui Lisbeth s'écroulerait.
Depuis la dernière séance chez le psychologue, la néerlandaise n'avait plus décroché un seul mot, elle recommençait à sortir en douce le soir, à mentir aux gens,... Enfin rien n'avait changé mis à part ce mutisme. La seule chose qu'elle avait réussi à dire fut lorsque sa tante lui demanda ce qu'elle désirait pour Noël.
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Être normale. avait-elle répondu avant de s'effondrer en larmes.
Pleurer était pour les gens qui n'arrivaient pas à se contrôler, alors Lisbeth se refusait de le faire, surtout en public. Mais cette fois c'était différent, elle prenait conscience que quelque chose n'allait pas chez elle.
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You're just as sane as I am. Crois-moi, nous sommes tous dérangés. Il suffit juste de savoir se canaliser. lui avait dit Helena.
Elle avait toujours su quoi lui dire, même dans les situations les plus dramatiques.
-... ce qui veut dire que je dois continuer cette putain de thérapie.
Helena hocha la tête.
Mars 2009La thérapie avait repris. Les hochements de tête et les questions du docteur Hack étaient toujours aussi désagréables, mais Lisbeth prenait sur elle. Elle faisait tout ce qu'il lui disait de faire, elle lui disait ce qu'il voulait. Aucune insulte, aucune crise de colère soudaine.
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Bien. Vous m'avez dit il y a quelque temps qu'on avait voulu vous tuez. Parlez-moi de ça. reprit le psychologue après avoir récapitulé tout ce que Lisbeth lui avait déjà dit.
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Oh, ça. Rien qu'un incident de parcours. lança-t-elle avec un léger sourire. -
Hum. Quand j'allais au lycée à Amsterdam. J'étais plutôt populaire, personne ne connaissait mon histoire- et personne ne la connait non plus aujourd'hui-, enfin bref, avec mes chers "amis", on achetait souvent de la drogue pour se détendre le week-end. Enfin, je leur achetais et je les regardais se shouter pour être exact. Je ne pense pas que vous connaissiez vraiment ce milieu, mais sachez qu'il suffit de ne pas faire ce qu'on vous demande une seule fois pour qu'une bande de dealers désire vous abattre. Bref, comme vous le voyez ils n'étaient pas très doués étant donné que je suis encore vivante.Comme à son habitude, Hack notait tout ce qu'elle racontait dans son calepin en cuir. Le pauvre, il devait être complètement à bout avec une patiente telle que Lisbeth.
Avril 2012Les mois et les années passèrent, et une sorte de routine s'était installée. Lisbeth se mettait sur son fauteuil favori, elle racontait sa vie au jeune psychologue, et ce-dernier notait tout ce qu'il jugeait intéressant dans son calepin. Le problème pour Lisbeth, c'était qu'elle ne voyait aucun changement. Sa vie était toujours la même: elle était sociable à la fac et à son boulot mais au fond elle n'aimait personne des gens qui pensaient être ses amis. Elle mentait toujours aux inconnus qu'elle rencontrait en boîte, leur disant qu'elle s'appelait Pandora et qu'elle était riche; et elle se faisait toujours un malin plaisir de voler les objets des autres qui lui tapaient dans l'oeil. Non, en apparence ce suivit psychologique s'avérait inefficace.
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Bien, on avance. Je vais enfin vous donner mon avis de spécialiste. Je pense que les causes du meurtre que vous avez commis restent flous. Vous n'aviez que six ans, or la mémoire de l'enfant est très facile a modifié, n'est-ce pas ? Ce que vous m'avez décrit à maintes reprises ne collent pas.
Les propos du docteur Hack retournèrent le cerveau de la jeune Lisbeth, comment ça ça ne "collait" pas ? C'était quoi ce délire ?
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Je vous demande pardon ? Je n'y comprends rien du tout là. En quoi ça ne "colle" pas.
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C'était votre sœur, pas vous. Et son acte vous a causé des troubles.Elle n'en revenait pas, comment pouvait-il être aussi sûr de lui ? La jeune femme était totalement perdue.
Tout le reste de la séance, Hack lui exposait ses nombreuses analyses, mais Lisbeth ne l'écoutait plus. Maintenant qu'il l'avait dit, elle ne se souvenait même plus d'avoir poussé son père et sa mère. Victoria, quelle pute.
Juin 2012Les révélations du psy continuaient à brouiller le cerveau de la jeune Pietersen. En plus de cela, Hack lui avait dit que la thérapie s'arrêtait lorsqu'elle sera capable d'avoir une relation sincère avec autrui. Cette situation l'avait amenée à vouloir déménager. Lakewood, ville tranquille non loin de Denver semblait être l'endroit idéal. La demoiselle était prête à essayer de changer. En fait, savoir qu'elle n'était surement pas responsable de ce qu'elle croyait depuis plus de dix-sept ans la libérait d'un poids. Bien sûr, arrêter ces mauvaises habitudes ne serait pas aussi facile que d'acheter une baguette de pain, elle aimait trop manipuler, mentir et voler, mais elle se promit d'essayer. Comme elle l'avait dit à sa tante quelques années auparavant, elle voulait juste être normale désormais.
Août 2012Il n’y eut qu’un choc, rien que cela. Helena était partie. La seule personne qui la comprenait et qui ne la considérait pas comme un monstre. Pourquoi ? Qu’allait-elle faire maintenant ? Toute la douceur et la bonté en Lisbeth semblaient être parties depuis la disparition de l’être le plus cher à ses yeux. Sans même comprendre ce qu’il se passait, des larmes se formèrent aux creux de ses yeux avant de couler doucement sur ses joues.
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Jo… , souffla-t-elle tandis qu’elle essuya son visage du revers de sa manche.
Oui, si quelqu’un avait plus d’informations à ce sujet, ça devait bien être sa chère et tendre petite cousine. Elle était arrivée avant elle, avec un peu de chance la rousse avait pu voir l’assassin ou entendre quelque chose qui permettrait de comprendre la cause de ce décès aussi soudain que déchirant. Mais rien. Jo affirmait qu’elle n’en savait pas plus qu’elle, et comment Lisbeth aurait pu ne pas la croire face à la tristesse et la rage que Jo partageaient avec elle ? Pour la première fois dans sa vie, ce n’était plus elle qui mentait dans la famille… Mais ça, elle ne le savait pas.
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Etant donné vos progrès et la façon dont vous prenez la mort de votre tante, je vous déclare absolument capable de vivre votre vie sans tutuelle., déclara le docteur Hack après que la néerlandaise lui ait raconté le drame qui avait touché sa famille.
Dire que c’était le plus grand souhait de Lisbeth il y avait encore moins d’une semaine… Ca ne lui faisait presque rien de savoir que la normalité lui était presque à portée de mains.