Cinq heures, Jane se réveille suite à de maux de ventre prononcés. Il ne lui faut pas plus de dix minutes pour comprendre que ce n’est rien d’autre que ses nausées matinales, ce qui d’après le médecin est normal, bien que seul un très peu nombre de femme continuent d’avoir des nausées après avoir passée douze semaines. Elle se dirige vers les toilettes et finit par aller dans la salle. Elle s’allonge dans le canapé, prend la petite couverture et allume la télé pour zapper et tomber sur un film qu’elle regardait étant enfant avec Adrien et Ryan pendant que Garett s’amusait dans sa chambre. Elle ferme les yeux et se rendort, elle ne rêve pas. Elle dort profondément, pourtant, quand elle se réveille il fait complètement jour, Ryan est en face d’elle en train de remplir des papiers et en voyant sa sœur réveillée, il sourit.

« T’as bien dormis ? » dit-il en se relevant légèrement.

Elle se contente de hausser les épaules. Fatiguée. Elle se lève et retourne dans sa chambre, la fatigue fait partie intégrante de sa vie. Pour elle dort, elle dort tôt le soir et se réveille le matin mais elle est toujours fatiguée. Elle est fatiguée mentalement, elle remet la faute sur sa mère qui téléphone jour après jour pour lui ordonner de revenir. Elle veut s’occuper du bébé, elle veut être grand-mère mais pourquoi faire ? Pour martyriser cet enfant comme Jane l’a été ? Pour n’être que rejeté, puni, tourmenté ? Jamais, elle n’aura la garde de l’enfant de Jane. Jamais, elle ne reverra sa fille. Jamais, elle ne connaîtra son petit enfant. Fille ou garçon, peu importe. C’est quand même un enfant.

Après une heure de sommeil, Jane se réveille déjà plus fraîche. La fatigue n’est plus là et la maison est calme. Seul les bruits de l’extérieur sont entendus et les tic-tacs de l’horloge accrochée sur le mur de sa chambre. Une vieille horloge qui date de faciles trente ou quarante ans. Une horloge souvenir, qui vaut chère mais qui est précieuse et qui ne doit pas être enlevé de ce mur. Jane n’en voit pas l’utilité, elle n’aime pas les horloges et de plus, elle ne regarde jamais l’heure. Le bruit produit par cet objet la dérange au plus haut point, surtout la nuit, quand tout le monde dort que la pièce est plongée dans un noir profond, si l’on ferme les volets faits de bois.

Elle se lève de son lit, se dirige vers son armoire et prend son peignoir et de quoi s’habiller après la douche qu’elle s’apprêtait à prendre. En prenant ses sous-vêtements, elle capture un de ses nombreux maillots de bains qu’elle allait enfiler pour se laver, détestant au plus haut point se retrouver nue. Pourtant, parfois il le faut. Mais elle n’aime pas, quand son fiancé lui faisait l’amour, c’était dans le noir, jamais à la lumière. Il ne voyait jamais son corps complètement dévêtu. C’est sûrement pour ça, qu’il est parti en plus du fait d’être futur papa. Peut-être que tout le monde partira en apprenant qu’elle aurait préféré rester vierge que de faire l’amour. Pourquoi l’a-t-elle fait alors ? Une pulsion. Pulsion qu’elle regrette à chaque foutue nausée. A chaque foutue question et à chaque foutu compliment. Une femme enceinte. Elle ne mérite pas ce titre et elle n’en veut pas. Pourtant elle en a hérité.

Deux heures plus tard, il est exactement quinze heures trente et elle est assise face à cette table, dans ce café où elle a l’habitude d’aller. Pour boire une boisson fraîche et voir Isalys. Ils se retrouvent tous les jours, sans se prévenir, sans se poser de questions. Jane ne dit rien, lui parle. Elle se tait, elle aime bien l’entendre parler mais lui répondre… Lui répondre quoi ? Combien sa vie est pâle et vide de sens ? Combien son frère semble distant, combien elle a hâte d’expulser le petit-être qui squatte son ventre pour le voir adopter, combien elle déteste vivre dans cette famille si… Banale. Oui, Jane est compliquée. Elle a son frère, une famille et bientôt un petit être qui est arrivé après de soi-disant ébats amoureux. Amoureux ? Mon cul. Un fiancé… Ce n’était un fiancé uniquement car ils pensaient s’aimer. L’amour ? Ce n’était pas présent entre eux. Pourtant… Pourtant ils aimaient être ensemble, pourtant… Aujourd’hui c’est terminé.

Mains sur son ventre, elle commande un jus d’orange et elle attend patiemment l’arrivée de cet ami qu’elle a rencontré un jour de pluie. Une relation peu banale. Une relation nouvelle. Sa consommation face à elle, elle sourit et remercie le serveur qui part ensuite servir une autre table et elle attend. Continue d’attendre.

De ses rayons étincelants le soleil s’immisce dans la chambre, & l’obscurité s’efface. Les deux corps enlacés peu à peu se séparent. & Isalys ouvre enfin ses paupières, gêné par l’intrusion massive de cet astre tiré de son sommeil. À ses côtés, une jeune femme endormie s’étire & tend sa main à la recherche d’un peu plus de chaleur. Elle ronronne contre Isalys. Il caresse sa longue chevelure. Une fois encore, il a abusé de ses charmes pour obtenir un peu de confort & de réconfort. & une fois encore, il s’interroge sur les motivations de ces dames. Comment peuvent-elles ressentir quoi que ce soit à son égard ? Ses vêtements sont salis par les horreurs de la rue, ses cheveux en bataille montrent l’absence de soins & ses yeux cernés mettent en avant son âge avancé. Il n’est foutrement pas désirable. & pourtant… De nombreuses poupées craquent pour son sourire & se laissent volontiers séduire.
Un long soupire s’échappe d’entre ses lèvres. & d’une main habile, Whitfield s’extirpe du confortable cocon. En un regard, il s’assure que Morphée enlace de ses bras délicats sa belle conquête, & il rejoint la salle de bain. L’eau tiède s’écoule sur son corps nu & l’odeur du savon provoque en lui une exquise montée de frissons. Ces temps-ci, la chance lui se range de son côté. Car à défaut de dormir blotti contre les ponts, il parvient à s’emmitoufler dans de chaudes couvertures. & certains jours – comme aujourd’hui – il a le temps de fouiller les tiroirs à la recherche d’une neuve brosse à dents. & une fois l’haleine fraiche, il dérobe non sans honte l’objet récemment utilisé en plus d’un tube de dentifrice. Comment pourrait-il prochainement charmer s’il n’est pas un minimum propre sur lui ?

« Isa… Tu permets que j’t’appelle Isa ? J’ai préparé le petit-déjeuner… » souffle la beauté en se glissant dans le dos d’Isalys. Souriant, ce dernier retient ses envies de pester contre ce surnom ridicule. & il hoche la tête, les mains sur celles de la jeune femme appuyées contre ses abdominaux. Comment refuser un petit-déjeuner ? Son estomac crie famine depuis si longtemps. Ils abandonnent ainsi la salle de bain, ensemble, main dans la main comme un parfait petit couple. Puis Isalys s’installe sur l’une des chaises, ses doigts s’attaquant copieusement aux morceaux de pain recouverts de confiture. « Je dois filer… » dit-il en se redressant, quelques minutes plus tard. Il a perdu l’habitude de s’attarder chez les jeunes femmes qu’il rencontre. Peut-être par crainte de devoir parler de sa vie, de son passé. Ou peut-être par culpabilité. Putain ce qu’il a honte de les sauter dans l’unique but d’éviter les boyaux de cette foutue ville. La poupée subit le même sort que toutes les autres ; c'est presque inévitable.
Déambulant nonchalamment dans les rues de Lakewood, Isalys se dirige vers le seul café qu’il trouve agréable de par son ambiance conviviale & intimiste. Puis ses pupilles bleues incandescentes vagabondent sur ce visage innocent & plein de candeur. Elle est là, cette jeune fille, comme souvent. Leur relation est étrange. Mais Isalys aime passer du temps en sa compagnie, malgré son absence de paroles, malgré son air plus que distant. Il ne saurait dire ce qui l’attire chez elle. Ce n’est certainement qu’un désir de la protéger, de l’apprivoiser. Un tendre sourire étire inexorablement ses lèvres. & il s’approche encore & encore d’un pas léger, jusqu’à pouvoir s’asseoir juste en face d’elle. « Bonjour… » Interrompu par le serveur, il se plonge dans ses réflexions. Il n’a pas énormément d’argent sur lui, & il refuse d’afficher son statut de clochard devant cette âme angélique. Alors Isalys demande un simple verre d’eau qui ne lui coutera absolument rien. Après tout, si la demoiselle ignore les grandes lignes de son histoire pathétique, ce n’est pas le cas du barman ; il comprend, son sourire en témoigne. « Comment tu vas ? J’suis content de te voir… » assure-t-il sincèrement. Ses doigts jouent contre le verre fraichement servi, & il cherche le regard de la future maman. Réussira-t-il à lui arracher quelques mots, aujourd’hui ? Depuis quand se côtoient-ils ? Isalys a hélas perdu la notion du temps. Il souhaite juste parvenir à ses fins. Lentement, mais sûrement. « Je t’ai manqué ? » minaude-t-il d’une voix taquine. Sa seule intention est de la mettre à l’aise & lui prouver qu’il ne lui veut aucun mal – bien au contraire. Il espère ses sourires, ses rires & le son de sa voix. Juste ça.

Durant son attente, elle réfléchit à ce qu’elle ferait ce soir. Peut-être que Ryan allait l’emmener quelque part comme il a l’habitude de faire ou bien peut-être qu’elle sera conviée à une de ces nombreuses soirées en famille qu’il aime tant. Elle ne sait pas, elle se dit qu’elle le saura au dernier moment même si elle n’apprécie pas l’imprévu. Jane planifie tout, ou presque. A partir du petit-déjeuner, sa routine est réglée comme du papier à musique et elle déteste changer ses plans. Pourquoi faire autre chose que ce qui est prévue ? C’est une question qu’elle se posera jusqu’à ce que l’on donne la réponse. Posant ses mains sur la table, elle décrit son entourage. A la table à côté d’elle, un homme robuste lit son journal en regardant par-dessus ses lunettes, son café fumant pas encore entamé. En face d’elle, un couple. La femme a environ trente-cinq ans et l’homme en a approximativement cinquante. Ils ont l’air en forme mais ils sont tous les deux ridés. Ils se trouvent entre une femme maquillée comme une voiture volée, décolleté mis en avant et aux cheveux couleur ébène tandis que la deuxième personne est un jeune d’homme de dix-huit ans qu’elle a déjà vu. Tatoué, percé, il ne lui manquerait plus que la clope au bec pour aller en parfaite harmonie avec sa façon d’être. Jean déchiré, dock martins marinière noire et blanche, chapeau penché légèrement sur le côté et barbe naissante. Elle détourne ensuite le regard sur le serveur. Grand, maigre, pâle comme un cachet d’aspirine. Les joues creuses et le crâne dégarni, elle n’arrive pas à mettre un âge sur lui.

Elle baisse la tête et croise ses mains sur ses genoux. Elle ferme les yeux et se met à prier en silence, elle prie pour tout le monde, pour se rassurer et pour qu’Isalys vienne. Car oui, même si elle ne décroche pas un mot en sa présence, elle l’apprécie. Elle se fiche de ce qu’il fait de sa vie, il a l’air sincère même si pour Jane, tout le monde l’est. Elle relève la tête et pousse un soupir, elle est là depuis dix minutes déjà mais il n’y a personne. Et s’il ne venait pas, finalement ? Peut-être qu’il en avait marre de rester là, à parler seul face à une jeune femme qui a l’air absente et dont l’esprit se permet à de rares occasions de se faire la malle. Le serveur met aussi du temps à lui apporter sa consommation, mais ce n’est pas le point le plus important. Attendre… Elle s’en moque, elle n’a rien à faire de toute façon mais que la personne qu’elle retrouve tous les jours ou presque ici ne vienne pas… Lui pinçait légèrement le cœur. Perdue dans ses pensées, elle ne le voit pas arrivé alors elle sursaute. Elle le salut par un simple geste de tête. Les mots ne veulent pas sortir et elle ne veut pas se faire violence pour que ce soit le cas. Elle attend le bon moment pour dire quelque chose qui en vaut la peine. Le serveur arrive, elle le remercie d’un signe de tête et lui, il répond par un clin d’œil. Clin d’œil fait dans le vide puisque la jeune femme a déjà reportée son attention sur son vis-à-vis qui lui demande comment elle va. Elle va bien, mieux qu’hier et moins bien que demain, alors elle va juste bien. Elle rougit légèrement, content de la voir ? C’est une première mais elle sent son cœur s’emballer. On ne lui a jamais dit d’une manière aussi spontanée (mis à part Ryan, mais lui c’est différent). Elle est touchée, elle y croit et elle se dit qu’elle pourrait faire un effort mais sa gorge elle, sa stupide gorge, refuse.

Est-ce qu’il lui a manqué ? Pas tant que ça. Quand même un peu puisqu’il est le seul à parler quand elle n’ouvre pas les autres. Tous les autres l’accompagnent dans son silence même si certains sont comme elle, à tout partager par un simple regard. Un regard parle plus que les mots, et c’est une des rares choses que Jane garde en mémoire et utilise. Elle fait tout passer par le regard, quand elle le veut, quand elle ne ressemble pas à un zombie qui ne comprend rien à ce qu’on lui raconte. Elle boit une gorgée de son jus d’orange et une fois sûre qu’un son peut sortir d’entre ses lèvres, elle se tente.

« Pourquoi continues-tu de venir ? »

Alors qu’au final, tu ne gagnes rien, pense-t-elle ensuite. Il ne gagne qu’une heure ou plus en compagnie d’une fille silencieuse dont il ne connaît rien. Peut-être est-ce ça qui l’attire ? Jane ne sait pas et ne veut pas se lancer dans des explications. Elle attend la sienne puisque c’est la seule qui peut être réelle. Elle finit par se rendre compte que sa question paraît brusque alors elle baisse le regard.

« Pardon. » Et elle continue en parlant moins fort « Je n’aurais pas dû demander ça comme ça »

La routine est entrée dans sa vie, au même titre que la pauvreté. Dorénavant, à défaut de vendre de la drogue aux plus dépendants, aux plus amochés & aux plus désespérés, Isalys vagabonde dans une ville riche qui n’a de place pour lui. Il charme les femmes, en profite jusqu’au petit matin & s’échappe sans jamais se retourner. Il ignore comment agir différemment. Il ignore tellement de choses. En trente-sept ans, il n’est même pas certain d’avoir frôlé ne serait-ce que l’ombre d’une piqûre de bonheur. Puis le visage de Mia apparait comme un voile devant ses pupilles aussi claires que l’océan. Évidemment… cette fille l’a changé. Il l’a profondément aimé. & elle lui manque plus que de raison. Aujourd’hui, il avance dans un labyrinthe par définition sans repère. Il est seul. Sur son chemin se redressent d’innombrables obstacles. Jusqu’à présent, il les passa avec brio, mais combien de temps encore parviendra-t-il à supporter le poids de sa piètre existence sur ses épaules ? On dit qu’il vaut mieux être pauvre & heureux que riche & malheureux. Mais comment vivre en étant pauvre & malheureux ? Isalys se cache derrière ses sourires. Ce n’est qu’une façade. & toutes les façades tombent un jour ou l’autre, c’est inévitable. Face à la jeune femme, il n’est que lui-même. Un homme assez attentionné, attentif, à l’écoute. Pourtant, elle se fond dans un mutisme indéfinissable & n’en démord pas.
Alors les mains autour de son verre d’eau & les yeux plongés dans les siens, Whitfield tente de la troubler, de lui prendre sa confiance sans jamais en abuser. & un unique aveu suffit à lui arracher quelques rougeurs. Son visage se teinte, c’est attendrissant & rempli d’innocence. Peut-il continuer sur sa lancée ? Il sent qu’elle est proche. Prête à craquer. Prête à prononcer quelques mots.

« Pourquoi continues-tu de venir ? » Le son de sa voix résonne dans le café. À moins qu’Isalys soit simplement trop focalisé sur la jeune femme pour distinguer tout autre son. Il a du mal à y croire, à réaliser qu’aujourd’hui, elle ait décidé de s’exprimer. Pourquoi ? Pourquoi a-t-elle attendu si longtemps ? & à l’inverse, pourquoi ne l’a-t-elle pas fait patienter davantage ? Une vague de questions encombre son cerveau, mais Isalys garde le silence quelques secondes encore. Juste le temps d’un sourire. Elle vient de faire un pas vers lui, à son tour maintenant de lui prouver qu’elle a pris la bonne décision. « Pardon. » Ses excuses sont inutiles. Cette question est tout à fait légitime. Que fout un homme de presque quarante ans, tous les jours ou presque dans ce bar, avec pour seule compagnie l’espoir de croiser ce visage angélique ? En les voyant installés ainsi l’un en face de l’autre, les clients s’interrogent. & bien souvent, leurs jugements ne sont que dégueulasses & malsains. Qu’ils apaisent leur conscience, Whitfield ne désire pas son inconnue. « Je n’aurais pas dû demander ça comme ça » Si elle pense avoir agacé, énervé ou choqué le plus âgé, qu’elle se rassure : Isalys n’est pas le genre d’hommes à s’emporter pour si peu. Il est même plutôt ravi qu’elle ait enfin osé lui adresser la parole alors que rien ne laissait présager ce retournement de situation. Qu’a-t-il fait de plus que la veille, finalement ? Plusieurs secondes ont passées. Isalys, appuyé contre le dossier de sa chaise, détourne son regard vers l’extérieur. Le monde est agité, les gens semblent pressés. Il ne connait pas toute cette frénésie. « Comment t’appelles-tu ? » demande-t-il tel une bombe sortie de nulle part. C’est certainement sa seule occasion de connaitre son prénom, d’en découvrir suffisamment sur elle pour se faire une idée de ce qu’est sa vie. Mais si veut obtenir des réponses, sans doute doit-il d’abord répondre aux siennes. « Peut-être pour la même raison que celle qui te pousse à venir ici, non ? » Ses doigts, encore doux malgré la vie qu’il mène, abandonnent le verre d’eau à peine entamé. & Isalys croise ses bras contre le bois de la table. Son visage se penche un peu, s’avance vers celui de la future maman tout en gardant une distance raisonnable. Il refuse de l’effrayer par ses airs d’ours mal léché. « Je voulais connaitre le son de ta voix. Maintenant, je veux te connaitre toi » Ça peut paraitre étrange, ce désir soudain de découvrir une personne, une inconnue. Toutefois, tout sur cette Terre ne comporte pas d’explications rationnelles. Il y a des envies surgissant de nulle part, du plus profond de soi, & on n’y peut rien changer. C’est ainsi & il n’y a rien de mal à cela. Au détour d’une rue, la vie de chacun peut évoluer. Par un regard, un sourire, une rencontre.

Jane a ce sentiment de faiblesse quand elle est face aux gens. « Tais-toi ! » « Arrête tu m’énerves ! » « T’es d’une gêne, sale gamine… » C’est tout ce qu’elle entendait venant de sa génitrice quand elle prononçait quelques mots. Un simple bonjour faisait entrer sa mère dans une colère noire et aujourd’hui encore, les séquelles sont là. Elle a peur, elle n’a pas confiance et elle ne voit plus l’utilité de prononcer un mot puisque dans l’institut dans lequel elle a été inscrite suite à sa séparation avec Ryan, on lui faisait du bourrage de crâne en insistant sur le fait que parler à un homme était mal. Elle a grandi parmi des religieux qui ne voyaient que par la bible avec des connasses qui se permettaient tout et n’importe quoi. De l’humiliation à la torture. Jane n’était pas le souffre-douleur et heureusement, mais elle a vu tout ça et a parfois subit les foudres de ces personnes qui n’avaient pas peur de salir les lits ou de les mettre sens dessus-dessous. Des garces qui faisaient les yeux doux aux garçons de l’école d’à côté qu’elles retrouvaient le jeudi soir, de vingt-deux à vingt-trois heures, pendant la partie de jambe en l’air des deux surveillantes.

C’était un enfer sur terre, une école stricte qui vous fouette si vous n’êtes pas sage. Une école à l’ancienne, qui date de plus de soixante ans et tenu par deux tyrans à tête de con qui seraient capable de bouffer leurs élèves pour montrer qu’ils ont le pouvoir et qu’ils font ce qu’ils veulent quand ils veulent sans que rien ne leur tombe dessus. Ils ont inculqués des « valeurs et des principes » à des jeunes femmes. Ca a détruit une partie de Jane. Elle a perdue toute innocence, la seule chose qui lui reste c’est une once de dignité qu’elle garde grâce à ce que Ryan et leurs amis lui apprend. Parfois, le soir, elle est en état de choc. Tout son passé lui revient en tête mais elle ne dit rien, elle ne réagit pas. Jane est torturée mais c’est parce que personne n’a encore réussit à la sortir de sa torpeur. Il ne faut qu’une personne, autre que sa famille. Il ne faut qu’une personne pour l’écouter et lui apprendre que la vie n’est pas triste. Mais cette personne, faut-il encore la trouver.

Assise devant Isalys, elle rougit puis au bout de quelques secondes elle ouvre la bouche pour lui demander la raison de sa présence quotidienne. Qu’est-ce qui le retient ? Elle est curieuse d’apprendre ça. Elle porte son regard sur lui, elle rirait presque de le voir comme ça, comme un poisson choqué. Il ne s’y attendait pas et c’est une satisfaction pour Jane. Comment elle s’appelle. Elle prend une inspiration et prend sa serviette pour la tordre dans tous les sens sur ses genoux et ce n’est qu’au bout d’un long –très long- moment, peut-être cinq minutes ou plus qu’elle se décide à répondre un simple « Jane. » Rien de plus, rien de moins. Pas de discours inutile. Juste le nécessaire accompagné d’un haussement d’épaule. Pourquoi restait-elle là ? La compagnie d’un homme qui ne cherche rien d’autre que la connaître, peut-être ? Elle lâche un petit ricanement silencieux. Ou alors bien trop bas pour qu’il puisse être entendu « Me connaître ? Je ne me connais pas moi-même. » Il n’y a pas de miracle. Jane est une pure inconnue. « Vous êtes déçus, n’est-ce pas ? »